3 juillet 2011

Menues réflexions sur la lecture publique en Catalogne

Si l’on devait représenter graphiquement la répartition des compétences entre les différentes administrations catalanes dans le domaine de la lecture publique, on pourrait utiliser une pyramide.

Solide et imposant comme une pyramide
Tout en haut, les communes, qui ont l’obligation de construire et d’entretenir une bibliothèque sur leur territoire, dès qu’elles dépassent 3 000 habitants. C’est donc une première différence fondamentale avec la situation française puisque nous ne disposons pas de cette loi très complète sur laquelle nous appuyer. La loi catalane, qui date de 1993, définit précisément le rôle de chaque administration pour le développement des bibliothèques.
Donc, tout en haut de la pyramide, les communes. Puis viennent les services régionaux des la Deputaciones – il y au total 4 Deputaciones, celle de Barcelona, Lérida, Girona, Tarragona – et les services régionaux de la Généralité de Catalogne. Enfin, tout en bas, l’on trouve les services nationaux de la Généralité. Cette organisation fonctionne sur le mode de la subsidiarité : si un échelon ne peut assumer ses missions, l’échelon suivant se substitue à lui.

 
De l’utilité de la centralisation des achats et du catalogage
Une des forces de ce système de lecture publique réside dans la centralisation des achats et la centralisation et/ou l’externalisation du catalogage. Si les communes achètent des documents, cela ne représente qu’une petite partie des achats. Le restant provient des achats des Deputaciones. Comme en France, la plupart des acquisitions sont réalisées via des marchés publics – concursos –, mais à l’inverse de la grande majorité des marchés publics d’achats de livres des bibliothèques de lecture publique française, les Catalans intègrent la demande de livrer des documents catalogués et équipés…Autrement dit, la grande majorité des fonds achetés par les bibliothèques ou les Deputaciones pour les bibliothèques sont déjà catalogués et équipés lorsqu’ils arrivent dans les bibliothèques. Les bibliothécaires n’ont plus qu’à les placer sur les étagères ou à les présenter en tant que nouveautés.

Ces cris d’orfraies cesseront bien un jour…
J’entends déjà nos amis bibliothécaires pousser de hauts cris. Quoi, plus de catalogage ? Plus de traitement intellectuel interne ? Plus de discussions infinies sur la façon de remplir le 215, sur les listes d’autorité ? OUI, et C’EST TANT MIEUX. Si les bibliothécaires catalans participent à la sélection des documents, ils sont majoritairement déchargés du catalogage. Les conséquences de cette organisation sont faciles à deviner : des horaires d’ouverture qui font mourir de honte un bibliothécaire français. Prenons par exemple la bibliothèque Can Fabra, située dans le quartier San Andreu à Barcelone. Elle ouvre tous les jours jusqu'à 21h, mais aussi le dimanche après-midi, soit 66 heures d’ouverture par semaine…et devinez combien il y a de bibliothécaires pour assurer ce service public : 15, pas un de plus. Mieux, elle propose, comme toutes les bibliothèques de district de Barcelone – je reviendrai, en détail, dans un prochain billet  sur ce réseau particulier – une salle d’étude nocturne toute l’année jusqu’à 1h du matin…je pourrais multiplier les exemples. Je terminerai par une photographie et une citation du directeur de la bibliothèque Agustí Centelles, dans le quartier de l’Eixample de Barcelone, nouvellement ouverte, qui me présentait la salle de travail interne, entendez la salle où s’effectue le catalogage : « Comme tu vois, cette pièce est vide ; c’est normal, n’est-ce pas, on est d’abord là pour le public, non ? »…

Jérôme Triaud

4 juin 2011

De la confiance entre bibliothécaires et usagers

La confiance : voici ce qui caractérise les relations entre les bibliothécaires de Barcelone et leurs usagers.
Hier, je fais une demande sur le site des bibliothèques de Barcelone, d'une carte d'usager, gratuite. Je remplis un formulaire relativement simple, ce qui ne me prend pas plus de 3 minutes. On me demande mes noms et prénoms, mon numéro de carte d'identité, une adresse, une adresse mél. 24h plus tard, je reçois un mél m'avertissant que je peux retirer ma carte d'usager dans la bibliothèque que j'ai précédemment sélectionnée. Je me rends donc à la bibliothèque du Poble Nou où un bibliothécaire me reçoit et en 3 minutes supplémentaires, le temps de lui communiquer un numéro de téléphone, et de lui montrer ma carte d'identité, je suis inscrit. Je n'ai pas eu à justifier mon adresse par une quelconque facture. Ma seule déclaration a suffi. Idem pour mon numéro de téléphone. C'est d'autant plus remarquable que je suis hébergé pour un mois à Barcelone...

Recherchons donc la simplicité de l'inscription pour nos concitoyens en toute confiance, ils nous le rendront. Comme à Barcelone, où plus de 40 % de la population est inscrite au réseau de lecture publique...A méditer...

31 mai 2011

La bibliothèque des "indignats"

            Un Monde de bibliothèques a pris le chemin de la Catalogne depuis quelques jours... Changement de cap, changement d'ambiance et changement de perspective...Oh, j'aurais pu commencer par vous raconter mon premier jour au CEPSE...Patience, j'y reviendrai. Mais pour le moment, je préfère vous dire quelques mots des « indignats », « indignados » en castillan, les indignés qui campent sur la place de Catalogne depuis le 15 mai dernier, comme leurs frères madrilènes occupent la Puerta del Sol de la capitale espagnole.

Une indignation bien organisée

            L'indignation est donc au rendez-vous de l'actualité européenne ! Une indignation qui, somme toute, se construit et s'organise...Car, si le mouvement est plus ou moins spontané, un petit tour de la place de Catalogne – rendez-vous obligatoire des touristes pressés et des supporters de football célébrant les victoires du club local  –, permet de se rendre compte combien ces jeunes indignés sont organisés. A la kyrielle des commissions – démocratie fonctionnelle, juridique, de l'environnement, communication...- qui débattent d'idées pour un monde meilleur – logement gratuit pour tous, démocratie directe, moyens d'arrêter la crise et de sauver la planète – il faut ajouter une logistique sans failles : cabines de WC mises en place comme lors de concerts, messages peints sur des cartons usagés appelant à la contribution des passants – les matériaux, notamment, font défaut comme le bois, le métal mais ce sont aussi les compétences qui manquent : on recherche des plombiers, des menuisiers, quelques maçons...– et enfin les étonnants badges servant à identifier l'équipe dirigeante des « acampados ». Je m’interroge : y a-t-il des professionnels de l’indignation ?

La banderole de la commission éducation

La logistique : penser à tout
 
 
Une bibliothèque du Peuple pas si révolutionnaire !

            Les « indignats » n'ont pas oublié non plus, comme leurs grands frères – pères? – de 1968, d'organiser une bibliothèque du peuple, qui propose une littérature peu diversifiée, il faut le dire, ou plutôt une littérature qui sert une cause, et des exemplaires un peu défraîchis. Ah ! Mais pas de Cd ni de DVD ! Décidément l'image de la bibliothèque évolue peu même chez les révolutionnaires ! Déception...
            Et le fonctionnement de cette bibliothèque est tout sauf révolutionnaire...Déception bis repetita...On peut emprunter des livres pour deux jours, gratuitement, mais il faut laisser son numéro de téléphone, son numéro de carte d'identité, bref une inscription en bonne et due forme...On aurait imaginé une bibliothèque libre où l'on pourrait emprunter en toute confiance...

Bienvenus à la bibliothèque du Peuple ! Lis à la plage ou emporte le livre avec toi pour deux jours* (si tu l'emportes chez toi, laisse tes coordonnées. Merci)
L'écrit libérateur
           
            Dans toute cette manifestation, qui dure maintenant depuis deux semaines, on ne peut qu'être marqué par l'importance des slogans et de l'écrit en général. Slogans politiques, poétiques, revendicatifs, mais slogans qui restent dignes. Là encore, ce sont les héritiers des grévistes de 1968 dont les écrits ont donné lieu à une glose importante. A l'heure des SMS, des Twitts en moins de 140 signes, les « indignats » ont repris la plume, quelquefois pour le meilleur de la lecture. Florilège en images...
Qu'il pleuve ou non, rien ne nous fera bouger
"Si tu veux des résultats différents...Ne fais pas toujours la même chose". Albert Einstein
Que se passe-t-il à Fukushima ?

Google : démocratie en Espagne. Peut-être que cela voulait dire :  Dictature en Espagne


Et après l'indignation ?

            Stéphane Hessel a fait suivre son désormais célèbre Indignez-vous ! d'un non moins célèbre Engagez-vous ! Mais dans le cas de ces jeunes Espagnols, l'engagement a de loin précédé l'indignation : ils sont les héritiers des « Okupas » des années 1990. Et ensuite ? L'indignation momentanée comme ultime moment d'expression d'un désespoir profond ? Les « indignats » débattent ce soir de la suite à donner à leur indignation...A suivre

Jérôme Triaud

4 mai 2011

Autodafé

Sur la Bebelplatz de Berlin, juste à côté de la faculté de droit de l'Université Humboldt, se trouve au sol une vitre transparente que l'on ne remarque pas du premier coup. Si l'on se penche sur cette vitre, ont peut apercevoir des rayonnages vides. Ils commémorent le bûcher des livres « anti-allemands » organisé par les nazis la nuit du 10 mai 1933:

@Photo: Cécile Poirot

Cette installation, encore une trace discrète de l'Histoire allemande, est très parlante dans sa simplicité.

La Bundestagsbibliothek (la bibliothèque du Parlement allemand)

J'ai eu la chance de visiter la Bundestagsbibliothek grâce à un groupe d'élèves-conservateurs allemands (Bibliotheksreferendare) qui effectuent leur stage dans des bibliothèques de Berlin. Les bibliothèques de Berlin ont mis en place un groupe rassemblant les élèves-conservateurs effectuant leur stage dans leurs établissements. Dans ce cadre, les élèves-conservateurs se retrouvent tous les mois pour visiter des établissements et organiser des tables rondes sur différents sujets concernant leur métier (numérisation, droits d'auteur etc.). Ils tiennent un forum sur l'internet qui leur permet d'échanger pour organiser ces rencontres, ou autres.

Dans ce cadre, des élèves-conservateurs effectuant leur stage à la BU Humboldt m'ont proposé de les accompagner.

Fondée en 1949, la Bundestagsbibliothek a déménagé de Bonn à Berlin en 2004 à la suite du Bundestag qui s'est installé à Berlin en 1999.

86 postes sont attribués à la bibliothèque, dont 15 postes de conservateurs. Les conservateurs de la Bundestagsbibliothek ont pour mission d'acquérir, indexer les documents, aider à la recherche bibliographique et choisir les articles à signaler . Chaque conservateur est également responsable de plusieurs thématiques présentes dans la bibliothèque. Ils ne font par contre aucune formation, qui est effectuée par le personnel d'accueil.

Avec aujourd'hui 1,4 millions de volumes, elle est la troisième plus grande bibliothèque de parlement au niveau international. Elle a pour mission entre autres de recevoir les documents officiels de la République fédérale en dépôt légal (Pflichtexemplar). Elle est également la bibliothèque dépositaire des publications d’organisations internationales et supranationales. Les collections de la bibliothèque se composent donc, d'un coté, de documents officiels et de documents issus des activités parlementaires, et de l'autre, de littérature scientifique concernant les thèmes tels la politique, l'administration publique, le droit, l'économie, les sciences sociales, l'histoire contemporaine. C'est la plupart du temps de la littérature de base.

La bibliothèque n'est pas publique: elle est bien sûr ouverte au députés, au personnel scientifique travaillant pour les députés, au personnel administratif du Bundestag, ainsi qu'aux personnes souhaitant effectuer des recherches sur les collections de la bibliothèque, et qui doivent obtenir une autorisation préalable.

Les caractéristiques principales de la bibliothèque sont ses services offerts, qui sont très larges: cela passe par le conseil, les formations, les visites guidées, la recherche bibliographique, l'élaboration de bibliographies spécialisées.

La bibliothèque suit de près les événements qui se déroulent au Bundestag: elle établit par exemple tous les mois une liste de nouveautés des livres et articles importants apparus le mois précédent. Les conservateurs écrivent des articles sur des ouvrages apparus récemment et les diffusent sous forme de listes. Par ailleurs, lors des séances parlementaires, le personnel de bibliothèque propose une présentation de livres sur les thèmes traités pendant ces séances, et établit des bibliographies thématiques lorsqu'une commission d'enquête est mise en place.

L'architecture du bâtiment, construit par l'architecte Stephan Braunfels, est très originale: elle est circulaire. Pour cette raison on l'appelle Die Rotunde (la Rotonde).

@Photo: Cécile Poirot

Il a donc fallu que les meubles soient également de forme ronde, ce qui rend un très joli point de vue au niveau architectural:

@Photo: Cécile Poirot

@Photo: Cécile Poirot

… mais qui doit être assez compliqué à organiser. L'architecte refusait au début d'installer les meubles des fichiers de catalogues, afin de préserver la beauté du bâtiment... Mais ils se marient finalement bien avec la bibliothèque:

@Photo: Cécile Poirot

On a en plus un très joli panorama sur le Bundestag et sur la Spree:

@Photo: Cécile Poirot

Merci beaucoup aux bibliothécaires qui nous ont reçu, et en particulier à Anett Ullrich!

Cécile Poirot et Anett Ullrich